vendredi 7 décembre 2012

Multiplication des écrans. MEI 34

 
Multiplication des écrans et relations
aux médias : de l’écran d’ordinateur à
celui du Smartphone
Marie-Julie CATOIR
Université Michel de Montaigne Bordeaux 3
Laboratoire MICA-Bordeaux 3
Thierry LANCIEN
Université Michel de Montaigne-Bordeaux 3
Laboratoire MICA-Bordeaux 3
Cet article s’inscrit dans le cadre d’une recherche menée depuis 2008 à l’université de 
Bordeaux 3, au sein du laboratoire MICA. Il propose un cadre de questionnement relatif aux
relations avec les écrans et leurs contenus médiatiques ainsi que des données recueillies
lors d’un travail de terrain. Celui-ci portait sur la relation entretenue avec deux écrans en
particulier : celui de l’ordinateur et celui du téléphone portable de type Smartphone, et plus
spécifiquement, sur la circulation de contenus entre ces deux écrans numériques. Nous
avons analysé les journaux de bord réalisés en avril 2011 par des étudiants de Master 1 en
Sciences de l’Information et de la Communication, provenant de trois filières différentes
(Recherche, Multimédia et Communication et Générations), âgés de 21 à 26 ans3.
Mots clés : Intérmédialité, hybridation, transmédialité

Les recherches sur les écrans
La recherche sur les écrans n’est pas nouvelle et dès la fin des années 80,
Chambat et Ehrenberg (1988) posaient la question de savoir si la généralisation
des écrans qui commençait à toucher tous les secteurs, ne nous introduisait pas
dans un nouveau « continuum » comparable à celui de l’imprimé. Une telle hypothèse,
toujours d’actualité, demeure intéressante car, en rapprochant les écrans de
l’imprimé, elle permet d’éviter les visions globalisantes, notamment autour d’une
convergence totale des contenus et des usages. Chambat et Ehrenberg défendaient
en effet la thèse d’une coexistence complémentaire des médias, à rapprocher de
la culture précédente de l’imprimé qui admettait « des fonctions et des usages
divers et ramifiés ». Nous verrons ultérieurement que notre travail de terrain a
mis en évidence la complémentarité entre l’ordinateur et le Smartphone (notamment
relais dans la fonction agenda), mais aussi le fait que la multiplication des
écrans dans l’espace domestique induit une activité en réseau avec d’autres écrans
(comme celui de la télévision).
Dans les années 2000, d’autres travaux ont porté plus spécifiquement
sur les dispositifs d’écran dans leur rapport aux contenus médiatiques et au spectateur.
Olivier Mongin et des auteurs réunis dans un numéro d’Esprit (2003) ont
envisagé alors les modifications que la multiplication des écrans pouvait engendrer
chez les spectateurs sur le plan de la représentation, du temps et de l’imaginaire.
Dans ces travaux, on se demandait aussi (Amiel 2003) si la multiplication
des écrans était en train d’effacer leurs différentes identités ou si au contraire
celles-ci demeuraient, alors accompagnées de consultations de contenus médiatiques
spécifiques.
Depuis lors, les écrans se sont encore multipliés, semblant plus que
jamais brouiller les frontières entre contenus médiatiques stables et usages établis.
C’est pourquoi, il nous semble essentiel aujourd’hui de chercher à savoir si la
multiplication des écrans modifie l’identité des médias et les relations entretenues
avec eux.
Pour répondre à ce questionnement, nous allons croiser une réf lexion
historique et théorique sur les relations avec les écrans et leurs contenus médiatiques
avec notre travail de terrain sur l’écran de l’ordinateur et celui du
Smartphone. Dans cette enquête, il s’agissait notamment de chercher à savoir :
Comment se transforme la relation à ces deux écrans dans un contexte de multiplication
des écrans ? Quels contenus et usages sont spécifiques à chacun de
ces deux écrans, mais aussi quels contenus et usages circulent de l’un à l’autre,
et peuvent ainsi être considérés comme transmédiatiques ? Quel rôle joue la
situation d’énonciation (ou médiation situationnelle) dans la relation à ces deux
écrans ?
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Une nouvelle intermédialité
Pour appréhender cette « nouvelle » situation médiatique, il nous semble
important de nous référer aux travaux sur l’intermédialité, notamment à ceux de
Gaudreault, Marion et Altman (2000, 2006) qui proposent d’envisager celle-ci
non pas simplement comme un mélange des médias mais bien comme une étape
historique, un état transitoire, une « forme » partagée entre plusieurs médias
existants, l’identité de certains pouvant être en suspens4. L’intermédialité serait
alors « cette phase au cours de laquelle une forme destinée à devenir un média
à part entière doit composer avec les contenus véhiculés par les médias déjà en
place.5 » Cette approche historique nous semble particulièrement éclairante pour
mieux comprendre les conséquences de l’émergence d’Internet et des nouveaux
médias sur la relation aux écrans et à leurs contenus.
Le paysage médiatique actuel constitué de médias dits classiques (cinéma,
télévision) et de médias dits nouveaux (sites web, dispositifs multimédia
interactifs, jeux vidéo, contenus de téléphonie mobile) correspondrait bien à ce que
Gaudreault et Marion (2006) disent des médias contemporains qui « afficheraient
un penchant marqué envers la dissémination intermédiale » ce qui ne serait d’ailleurs
pas pour eux incompatible « avec leur identité médiatique singulière ».
Les travaux sur l’intermédialité qui ont souvent une dimension historique
nous rappellent aussi utilement qu’il ne faut pas considérer ces crises
comme inédites : « toutes les crises médiatiques se ressemblent davantage
qu’elles ne diffèrent.6 » Pour les comprendre, on aura tout intérêt à les rapprocher
d’autres crises d’intermédialité qui ont touché les médias et leurs supports
écrans : arrivées du cinéma, de la télévision. L’intermédialité se complexifie
encore plus dans le cas de l’ordinateur et du téléphone portable, qui intègrent
plusieurs médias déjà existants, notamment grâce au réseau du web.
L’intermédialité permet donc de relativiser les approches trop globalisantes
comme celles qui portent sur la convergence des supports et des contenus.
C’est pourquoi nous allons faire ici l’hypothèse que l’identité actuelle des médias,
loin d’être complètement bouleversée, est plutôt prise entre des tensions. D’un
côté l’on aurait effectivement des médias qui, pour reprendre la formule de Gaudreault
et Marion, auraient tendance à se disséminer, de l’autre des médias qui
garderaient des facteurs d’identité, des spécificités fortes.
Suite de l'article dans le numéro 34 de MEI.

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