L’action audiovisuelle extérieure de la France
In Francophonie et mondialisation
HERMES n°40
2004
Pour tenter d’analyser l’action audiovisuelle extérieure de la France en matière de télévision, nous retiendrons la période qui va de 1984 aux développements plus récents concernant le projet d’une chaîne française internationale d’information. Ce découpage est dû au fait que c’est en 1984 que fut lancée la chaîne francophone TV5 et que semble s’être mise en place une action audiovisuelle extérieure d’une certaine envergure. Ceci est à mettre en rapport avec le fait que les technologies satellitaires rendaient désormais possibles les diffusions transnationales et que le paysage audiovisuel international commençait à changer.
Cohérence ou puzzle ?
Ce qui frappe tout d’abord à l’examen de la période dont il vient d’être question, c’est l’important nombre de rapports qui ont été demandés par les gouvernements successifs sur la question que nous examinons. Les rapports officiels sont au nombre de sept , sans compter une myriade de prises de position, elles aussi officielles, de personnalités politiques et de responsables de l’audiovisuel. Si l’on ajoute à cela, le fait que chacun de ces rapports correspondait à une alternance politique, on pourrait croire que l’action audiovisuelle extérieure de la France (désormais AVEF) aura été durant la période écoulée à la fois très politisée et très instable.
En fait, l’examen des rapports et des politiques mises en place amène à nuancer très nettement cette impression.
D’abord parce que certains vecteurs de cette action ont perduré durant ces vingt années . Il en va ainsi de la chaîne francophone TV5 qui, tout en étant critiquée par à peu près tous les rapporteurs, s’est petit à petit renforcée pour devenir la colonne vertébrale du dispositif, ce qui n’a d’ailleurs pas été sans poser des problèmes que nous examinerons ultérieurement.
Ensuite parce que les mesures prises au fil des rapports se sont plus traduites par des phénomènes d’empilement que par de réelles ruptures. La banque de programmes CFI (Canal France International) est par exemple venue s’ajouter au dispositif en 1989 à la suite du rapport Decaux de même que le Conseil audiovisuel extérieur de la France (aussi en 89). Ces empilements ont pu d’ailleurs donner lieu ensuite à des phénomènes de doublons comme ce fut le cas pour CFI qui, en cherchant à devenir une télévision à part entière, fit concurrence à TV5. Plus que par des suppressions, les mesures se sont donc traduites par des ajouts. C’est ce qui explique que beaucoup d’observateurs ont perçu l’action de la France comme désordonnée et peu cohérente.
Enfin parce que les rapports ne présentent pas des options qui seraient très marquées politiquement et ce en dehors de la question de l’information. Dans ce domaine en effet, les auteurs des rapports demandés par des gouvernements de gauche (Rapports Decaux, Imhaus, Pomonti) se sont montrés sensibles au fait que l’information sur TV5 devait être développée, enrichie mais surtout diversifiée et ce dans une perspective francophone, tandis que les auteurs des rapports commandés par des gouvernements de droite (Péricard, Balle, Cluzel, Baudillon) défendaient la création d’une véritable chaîne française internationale d’information.
Il s’agit là d’une différence importante que l’on retrouve ces derniers mois avec le projet de création d’une chaîne d’information française internationale.
Plus stable et moins politisée qu’on n’aurait pu le croire, l’AVEF s’est organisée autour de deux grands axes, une diffusion d’inspiration plutôt culturelle (TV5) côtoyant à partir de 89 une politique audiovisuelle à préoccupations plus géopolitiques (CFI), ces deux courants étant étroitement liés aux questions de la francophonie. De manière plus souterraine, deux visions de l’information transparaissaient dans les rappports officiels et c’est l’une d’entre elles, plus politique, française et non pas francophone qui semble l’emporter aujourd’hui.
Une vision culturelle de la diffusion audiovisuelle
Dans les années 80, la diffusion de programmes audiovisuels (autres que ceux présents sur TV5) se faisait sous la tutelle du ministère des affaires étrangères, à travers l’envoi de cassettes aux différentes ambassades qui les proposaient ensuite aux chaînes locales. Cette action dite « diffusion culturelle » se faisait gratuitement et concernait des programmes libres de droit destinés à des pays non solvables. L’autre caractéristique importante était que ces programmes, destinés à diffuser notre langue et notre culture, étaient en langue française, ce qui limitait leur pénétration à des pays francophones. Cette situation pouvait bien sûr étonner, à l’heure où, comme le signalait le rapport Péricard (Pericard, 1987), nos voisins allemands ou anglais proposaient des programmes quelquefois doublés en cinq langues et déjà transmis par satellite.
La gratuité, le monolinguisme et le caractère généraliste des programmes nous semblent en tout cas être des paramètres importants dans l’AVEF. On peut faire l’hypothèse qu’ils sont à rattacher à tout un courant de pensée qui, depuis la fin du dix neuvième (création des Alliances françaises, puis des Instituts français avant et après la deuxième guerre mondiale), considère que la France a une mission (l’un des réseaux parallèle aux Alliances ne s’appelera-t-il pas Mission laique française ?) consistant à diffuser sa langue et sa culture et ce dans un esprit de service public qui est bien représenté par le très important réseau des services culturels des ambassades de France. Pour comprendre l’AVEF de ces vingt dernières années, il faut la resituer dans ce contexte où le ministère des affaires étrangères joue un rôle considérable puisqu’à travers sa direction générale de la coopération internationale et du développement (DGCID) et plus précisément sa direction de la communication, c’est lui qui pilote la plupart des actions audiovisuelles et qui finance la part française de TV5 . Le ministère est donc ici opérateur et surtout imprime l’action audiovisuelle de toute sa culture de la diffusion telle que l’avons envisagée.
Les différents rapports évoqués ci-dessus ont tous pointé le manque d’audace économique de l’AVEF et les dangers du monolinguisme, en sous estimant peut être le poids institutionnel mais surtout culturel du ministère des affaires étrangères par rapport à ces questions.
La question francophone
La question de la francophonie est au cœur de l’AVEF puisque le choix de la partie la plus importante du dispositif fut, avec TV5, celui d’une chaîne francophone (Chatton, Mazuryk Bapst, 1991) . L’idée de cette chaîne est née au ministère des affaires étrangères, en 1982 (Bonnet, 90), alors que les satellites de transmission directe commençaient à transporter des chaînes à vocation internationale. Plutôt que d’adosser la nouvelle chaîne française internationale (lancée en 1984) au groupe des chaînes publiques (comme devait le faire quelques années plus tard la BBC), la France décida alors de mettre en place un consortium francophone réunissant cinq chaînes européennes : TF1, Antenne 2, FR3, la RTBF (chaîne belge francophone) et la SSR (Télévision suisse romande). Ce consortium fut rejoint deux ans plus tard par un autre consortium réunissant des médias audiovisuels québécois et canadiens .
Critiquée par à peu près tous les rapports, TV5 n’a pourtant cessé de prendre de l’ampleur jusqu’à diffuser aujourd’hui, grâce à différents satellites et sept signaux, sur cinq grandes zones géographiques : l’Afrique, l’Amérique latine, l’Asie, l’Europe et le Québec-Canada.
Cela ne permet pas pour autant à la chaîne d’échapper à cette situation paradoxale qui fait qu’elle semble être à la fois le fleuron de l’AVEF et en même temps son principal handicap. Fleuron parce qu’elle est la pièce maîtresse du dispositif qu’on critique sans oser l’attaquer frontalement, handicap parce qu’elle semble empêcher de prende d’autres initiatives.
A partir de là, comment expliquer que cette chaîne n’ait toujours pas réussi à échapper au reproche de manque d’identité qui lui est fait depuis vingt ans.
On notera tout d’abord que TV5 est née au sein du ministère des affaires étrangères et qu’elle a donc été elle aussi marquée au moins à ses débuts, par une culture plus diplomatique qu’entrepreneriale. Le maintien à sa tête pendant près de quatorze ans d’un diplomate du Quai d’Orsay est à cet égard intéressant même si sous l’influence des rapports Péricard (Péricard 87), Decaux (Decaux, 89) et Balle (Balle, 96), la chaîne s’est professionnalisée et a noué au fil des années des accords avec des partenaires publics comme privés. La contribution financière de la France à TV5 dépend d’autre part toujours de la direction de la communication du ministère des affaires étrangères, ce qui n’est pas sans peser dans la politique de la chaîne et dans le statut symbolique qu’elle a auprès de l’état et de ses partenaires.
L’héritage de cette vision diplomatique de la diffusion culturelle version quai d’Orsay que nous évoquions précédemment, peut sans doute expliquer certaines des caractéristiques de la chaîne qui sont peut être en même temps ses handicaps. Elles concernent le public, la programmation, la production et la question linguistique.
Le premier handicap de la chaîne tient certainement à l’extrême hétérogénéité des publics visés. A lire les responsables successifs de la chaîne et même les ministres de tutelle , TV5 devrait toucher aussi bien les vrais francophones, ceux qui ne le sont que partiellement , les francophiles mais aussi les « téléspectateurs qui s’intéressent à la France ». Si l’on ajoute à ces publics, les enseignants de français (qui semblent d’ailleurs être le public le mieux identifié et le plus stable ) et les Français expatriés, on comprendra bien qu’il est difficile de contenter tout le monde et d’avoir une forte identité de programmation. On constatera aussi que la notion de francophonie est peut être un habillage facile qui permet de masquer le flou de la chaîne en terme de public cible. La francophonie recouvre en effet elle même des communautés très diverses sur le plan politique et culturel et cette diversité ne semble pas être prise en compte réellement par la chaîne.
La programmation de TV5 présente son deuxième handicap. En effet même si la chaîne a petit à petit mis en place des grilles de programmes en partie spécifiques à chacune des grandes régions du monde où elle diffuse, elle a tenu à rester généraliste. Là encore, on peut sans doute y voir un héritage de la politique de « diffusion culturelle » qui consistait à proposer des documents relatifs à l’actualité culturelle française sous ses différents aspects. Dans cette tradition, la chaîne est alors beaucoup plus envisagée comme une vitrine de la France (à côté des programmes des autres partenaires francophones), que comme un vecteur de diffusion spécifique . Le cas de TV5 Europe est à cet égard intéressant, puisque cette chaîne régionalisée est elle aussi restée généraliste dans un paysage audiovisuel européen où le succès semble plutôt aller à des chaînes thématiques, qui réunissent comme le fait remarquer François Mariet (Mariet, 1996) des téléspectateurs autour de « micro cultures », musicales ou sportives par exemple.
Le troisième handicap tient évidemment au fait que TV5 n’a pas de moyens financiers pour des productions spécifiques. Ce sont donc des reprises des différentes chaînes partenaires qui sont proposées à un téléspectateur non seulement hétérogène mais aussi « tiers », selon l’expression de Florence Gaillard (Gaillard, 1991). Cet auteur fait en effet remarquer qu’à part les téléspectateurs français expatriés, les autres téléspectateurs de TV5 sont amenés à regarder des programmes qui n’ont pas été conçus pour eux. On peut faire l’hypothèse que si cette situation n’est pas problématique pour des genres de programmes qui se transnationalisent facilement, comme le cinéma ou certains types de documentaires, il n’en va sans doute pas de même pour des émissions comme des débats, des magazines de société ou même des talk shows dans lesquels aussi bien dans le dispositif télévisuel même de l’émission que dans ses thèmes vont venir s’imprimer des particularités culturelles fortes. On touche là à la question de savoir ce qui est interprétable par un téléspectateur qui regarde des émissions produites dans un autre espace culturel que le sien.
A cet égard l’argument francophone avancé par la chaîne ne résout à notre avis pas la question de l’hétérogénéité des publics et de leurs contextes culturels de réception. Si la chaîne est francophone parce qu’elle additionne des programmes en langue française produits par la France et ses partenaires (suisses, belges, québécois et canadiens), cela ne revient pas pour autant à rende compte de la diversité culturelle des pays de réception. Font exception certaines émissions d’information (revue de presse francophone), ou encore de rares magazines produits par la chaîne et dans lesquels sont proposées des approches plurielles de phénomènes d’ailleurs plus souvent culturels que sociétaux .
A l’option généraliste, fait pendant l’option linguistique qui consiste à diffuser en français. Là encore la dimension francophone de la chaîne est invoquée pour défendre ce choix. Cette question sépare depuis vingt ans ceux qui pensent qu’il vaut mieux diffuser moins de productions culturelles mais en français, de ceux qui pensent qu’il vaut mieux exporter des programmes traduits. Les auteurs des rapports quant à eux concluent la plupart du temps que c’est plutôt aux opérateurs privés de s’occuper de l’exportation de programmes traduits, tandis que TV5 doit assumer son monolinguisme et sa dimension francophone.
L’information : de la mosaique à une chaîne spécifique
La question de l’information traverse toute l’histoire de l’AVEF et est abordée par tous les rapporteurs à travers un jeu de balancier qui va d’une conception franco-française de l’information, à une conception plus francophone et polyphonique.
C’est à ce deuxième courant qu’il faudrait rattacher TV5 dont les responsables se sont efforcés de mettre petit à petit au point un dispositif d’information qui puisse prendre en compte la variété des publics précédemment évoqués et donc leur diversité culturelle.
Ainsi à la mise bout à bout de journaux télévisés émanant des différentes chaînes partenaires, a succédé dans les années 90, une formule consistant à diversifier les dispositifs, en présentant d’un côté des flashes d’information en infographie très neutres et référentiels et de l’autre un journal télévisé produit par la chaîne. Celui-ci avait la particularité d’accueillir pendant vingt minutes un invité du monde francophone qui commentait l’actualité présentée dans le journal. TV5 cherchait donc ainsi à atteindre ses différents publics, soit en effaçant le plus possible énonciation et médiation (les flashes et les infographies), soit en assumant au contraire pleinement la médiation pour rendre l’information plus facilement interprétable . Le traitement de l’information n’en resta pas moins un problème constant pour les responsables de TV5 qui envisagèrent un moment (en 98, à la suite du rapport Pomonti) de proposer un point de vue plus européen à travers la reprise, voire l’adaptation, de journaux télévisés d’Euronews ou d’Arte. La formule retenue aujourd’hui consiste à multiplier les rendez vous d’information en en variant les modalités énonciatives et les contenus (journaux télévisés, flashes, infographies, reprises régionales, émissions de géopolitique ).
Le courant franco-français est lui représenté par des acteurs et des rapporteurs comme Michel Péricard (dès 1987) ou plus récemment Jean-Paul Cluzel, Directeur général de RFI, qui dans son rapport de mai 97 plaidait pour la création d’une chaîne française internationale d’information, baptisée ensuite par les médias « CNN à la française ». Si les ministres de gauche de la cohabitation ont été assez peu sensibles à cette idée, elle sera reprise par Jacques Chirac en 2002 devant le Haut conseil à la Francophonie, ce qui est tout à fait paradoxal puisque la future chaîne est présentée par les acteurs de ce dossier comme française plutôt que francophone .
Si la perspective francophone semble laissée de côté, c’est semble-t-il par ce qu’une visée géopolitique d’ampleur l’emporte sur une conception plus culturelle limitée aux seuls pays de la francophonie.
L’action audiovisuelle est alors envisagée en termes d’influence directe et cette attitude n’est pas sans rappeler la politique menée par l’ex ministère de la ccoopération à travers la banque de programmes, Canal France International. Créée en 1989, sur les recommandations du rapport Decaux, cette banque permettait l’envoi de programmes télévisés à des pays africains, interlocuteurs habituels du ministère de la coopération. Le souci d’une présence télévisuelle à visée géopolitique se fit encore plus net lorsqu’après la chute du mur du Berlin, CFI décida de diffuser aussi ses programmes auprès des pays de l’ancienne Europe de l’Est.
Devenue télévision à part entière (pour cesser d’émettre en décembre 2003), CFI entra quelque peu en concurrence avec TV5 mais surtout elle incarnait à notre avis une autre conception de l’action audiovisuelle qui se retrouve peut être dans les projets d’aujourd’hui à la différence importante près que CFI a encouragé et permis un certain nombre de coproductions avec les pays partenaires ainsi que la diffusion de certaines de leurs émissions.
La voix de la France
A partir de là, il reste à savoir ce que va recouvrir le principe d’une télévision française internationale. Si l’on en croit les acteurs d’un dossier complexe et très politique , il s’agirait d’une sorte de voix de la France, susceptible de rivaliser avec CNN et la BBC pour « présenter le point de vue de la France sur les évènements internationaux » .
Cette conception de l’information qui relève d’une stratégie politique et d’influence rompt nettement avec les options retenues jusqu’à maintenant par TV5. Le choix du plurilinguisme (la nouvelle chaîne émettrait en quatre langues), le montage privé-public (France-télévisions et TF1) relèvent eux aussi d’une réorientation radicale par rapport aux traditions francophone et de service public analysées précédemment. Le public visé n’est d’ailleurs plus envisagé comme celui de la francophonie, mais comme celui de « décideurs » appartenant à des élites politiques.
Au delà de ces profondes transformations, il reste à savoir si la « rationalisation du secteur de l’AVEF » souhaitée par le ministre des affaires étrangères et celui de la culture se traduira par l’abandon de toute action dans le domaine de l’information francophone. Information qui aurait pourtant le mérite de permettre la mise en débat international de sujets politiques et sociétaux qui n’arrivent jamais à remonter dans les grands médias occidentaux.
Le projet actuel a l’apparence de la cohérence puisqu’il cherche à recentrer l’information qu’il propose au niveau international autour d’un point de vue sur le monde, celui de la France. Il échappe du même coup à cette espèce d’utopie qui consiste à croire qu’il est possible de diffuser à l’échelle planétaire une information qui serait universelle (Wolton, 1991).
A travers ce point de vue « franco centré », il ne faudrait pourtant pas que soit sous estimé le fait que la réception culturelle de télévisions transnationalisées ne peut sans doute se faire intelligemment que si elle permet une zone de partage, une relation régulée entre ce que Louis Porcher (Porcher, 1994) appelle le patrimonial et le transculturel. Pour cet auteur le patrimonial renvoie à des pratiques et des rerésentations culturelles locales, singulières et enracinées tandis que le transculturel les dépasse, notamment dans la fréquentation médiatique.
A négliger cela, on risquerait fort de renforcer les murs médiatiques des hégémonismes.
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